Du sixième rapport du GIEC à l’obligation de protéger et préserver le milieu marin (art. 192 CNUDM)

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Le second volume du sixième rapport du GIEC a été publié ce 28 février 2022. Moins scientifique que le précédent rapport qui avait mis en lumière l’influence des activités humaines sur le réchauffement climatique, ce nouveau document indique les transitions à réaliser pour assurer un développement résilient au changement climatique. Le constat scientifique du caractère inenvisageable d’un retour au statu quo ante fonde ce discours. Il ressort en effet du rapport que le réchauffement global, d’ores et déjà estimé à 1,09°C par rapport à la fin du dix-neuvième siècle, pourrait atteindre 2,7°C s’il se poursuit sur sa trajectoire actuelle. L’irréversibilité de certaines conséquences justifie dès lors un ensemble de transformations systémiques concernant l’industrie, les infrastructures, ainsi que l’utilisation faite des écosystèmes, afin d’amortir au mieux les changements profonds à venir.

Dans cette perspective, la préservation des écosystèmes est en effet un élément incontournable de la résilience, en raison de leur capacité à amortir les effets du réchauffement climatique. Cependant, ils sont décrits dans le rapport comme proches de leur capacité maximale d’adaptation, seuil au delà duquel leur effectivité en matière de régulation du climat devrait décliner :

“Many natural systems are near the hard limits of their natural adaptation capacity and additional systems will reach limits with increasing global warming […] Above 1.5°C global warming level, some ecosystem-based adaptation measures will lose their effectiveness in providing benefits to people as these ecosystems will reach hard adaptation limits”

Ainsi qu’il était expliqué dans la note relative à la première partie du sixième rapport du GIEC, les écosystèmes, en tant que puits de carbone, sont un atout de poids dans l’atténuation des effets du changement climatique. Leur capacité à absorber les émissions de dioxyde de carbone notamment permet de ralentir le phénomène global de réchauffement. Néanmoins, les réservoirs ne sont pas infinis, et plus les quantités absorbées sont élevées, plus les écosystèmes se transforment. La biodiversité souffre particulièrement de la modification profonde du biotope. Le rapport révèle ainsi qu’à 1,5°C de réchauffement global, seuil qui devrait être atteint avant 2060, un sixième des espèces recensées sera en voie d’extinction. Cette proportion double à 3°C. Or, de par les multiples relations symbiotiques existant au sein des écosystèmes, il s’avère que la diversité biologique est un facteur de bonne santé et de productivité des milieux naturels. Inversement, la détérioration de ces derniers entraîne une modification du milieu de vie des espèces, et, en conséquence, une menace claire pour leur survie. Or, au rythme où elle se poursuit actuellement, la dégradation des écosystèmes risque d’entrainer la perte progressive de ce qui constitue aujourd’hui le meilleur mécanisme d’amortissement du réchauffement climatique.

Une telle hypothèse apparaît comme un écueil redoutable s’agissant de l’Océan, qui absorbe près de 30% des émissions de gaz à effet de serre, et plus de 90% du surplus d’énergie thermique généré par le réchauffement de l’atmosphère. Le changement climatique a d’ores et déjà causé une série d’impacts négatifs généralisés sur les océans : acidification, hausse de la température et du niveau de l’eau, perte de biodiversité, le tout créant des conditions propices à la prolifération d’algues nocives et de bactéries. La seule élévation du niveau des mers est susceptible d’affecter près d’1 milliard de personnes d’ici 2050, et d’entrainer de nombreux déplacements de population. Il existe également un risque lié à la sécurité alimentaire. L’acidification des océans brise les chaînes alimentaires, réduisant la quantité de ressources disponibles, tandis que l’apparition d’algues et de bactéries est susceptible d’affecter la qualité des produits issus de la pêche. L’analyse des risques “en cascade” proposée dans le rapport souligne par ailleurs que la montée des eaux provoquera sans aucun doute une salinisation des terres costales, et donc une réduction de la superficie des espaces cultivables.

Ainsi, le caractère global et diffus de la pollution par les gaz à effet de serre suggère de mettre en œuvre la protection du milieu marin dans une perspective extrêmement large, couvrant aussi bien l’érosion côtière que l’acidification des eaux ou les dommages causés à la diversité biologique. C’est pourquoi, en parallèle de la diminution des émissions de gaz à effet de serre, les experts du GIEC recommandent entre autres d’assurer la préservation effective de 30 à 50% des écosystèmes, mers et terres confondues. A l’heure actuelle, seuls 15% des terres et 8% des océans bénéficient d’une telle protection.

L’appel lancé par les scientifiques semble rejoindre l’obligation de protection et préservation du milieu marin, établie par l’article 192 de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (CNUDM). Précisément, il s’agit de la “préservation du milieu marin” puisque le rapport se préoccupe du maintien de la bonne santé générale de l’écosystème, afin que les fonctionnalités de ce dernier soient essentiellement préservées.

L’article 192 investit en effet chaque Etat d’une obligation positive envers tous les Etats d’assurer la conservation du milieu marin en général, à la fois dans les zones sous juridiction nationale comme en haute mer. La déclinaison de cette obligation générale dans les autres dispositions de la Partie XII accorde une place prééminente à la lutte contre la pollution marine. Toutefois, elle n’est pas exhaustive, mais illustrative. Ainsi, la Partie XII de la CNUDM est assez peu explicite, notamment sur la préservation des écosystèmes marins, parce qu’elle a vocation à être enrichie par l’interprétation de la Convention par les tribunaux internationaux. Ces derniers, par leur jurisprudence, ont effectivement rempli ce rôle, chaque fois qu’ils en ont eu l’occasion.

Posté le 4 mai 2022 par Andrea Binet.

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